mercredi 30 décembre 2020

Une histoire de chameau et de Lumière

 

    Et si j'essayais de mettre des mots sur cette Lumière qui a croisé ma route, quels mots me viendraient en premier à l'esprit ? L'exercice me paraît difficile, puisque mon récit compte plusieurs fils: un voyage, une indigestion, une maladie, la fascination des grands espaces... Mais je vais quand même essayer de démêler la pelote et de vous raconter ce que j'ai vécu.

    Mongolie 2012: un voyage que m'avait offert ma famille à l'occasion de mes vingt ans. Une destination de rêve que j'avais choisie parmi tant d'autres. La Mongolie avait eu ma préférence pour son désert, le Gobi, pour ses montagnes, pour ses populations nomades ainsi que pour ses chameaux de bactriane et ses chevaux de Przewalski: deux animaux qui me faisaient rêver depuis toute petite.


    L'histoire commence aux dunes de Khongor, dans un campement de yourtes où notre petit groupe s'était arrêté pour la nuit. C'est dans cette soirée, alors que le désert allumait ses étoiles, que l'indigestion est survenue. Une bête indigestion de touriste qui ne supporte pas la nourriture locale. Un événement qui n'aurait été d'aucune importance si mon diabète de type 1 ne s'était pas ajouté par-dessus.

    Le diabète de type 1, en une phrase: un corps qui ne sait plus gérer son sucre tout seul. En ce temps-là, je gérais mon handicap avec des piqûres quotidiennes. Je n'avais pas encore la fameuse pompe à insuline pour faire face à mon diabète. En ce temps-là, une indigestion signifiait pour moi un manque de sucre drastique, presque instantané. Pour ne pas tomber dans les pommes, il fallait me resucrer à tout prix après avoir régurgité, idéalement au moyen de tisanes, miel ou eau sucrée. Et si le corps refusait d'assimiler le sucre ? Alors c'était l'hôpital. Oui, mais l'hôpital en plein désert ?

    La yourte où j'étais ressemblait à toutes les autres yourtes alentour: deux lits contre les bords de la tente, des commodes de bois orangé, un poële allumé au centre de la tente pour tenir bien chaud. À la tête de mon oreiller, un petit chameau me regardait: un chameau en peluche acheté à Oulan-Bator. À ce moment de mon histoire, il ne portait pas encore de nom.

    C'est en rentrant dans ce petit cocon que tout le repas repassa. D'un coup, je sentis ma tête tourner, mes jambes vaciller et mes yeux se flouter. J'eus le réflexe de tout de suite me jeter sur mon lit pour ne pas tomber plus bas. Dans mon souvenir, j'ai crié très fort pour appeler à l'aide, mais je ne sais plus vraiment quoi. La porte s'est ouverte très peu de temps après. C'était Nara, la guide mongole qui accompagnait notre voyage. Je me souviens de sa présence protectrice à côté de mon lit. Pendant toute la nuit, elle me faisait les piqûres au bout du doigt pour vérifier la glycémie (le taux de sucre dans le sang) et essayait de me faire boire un thé sucré. À un certain moment de la soirée (de la nuit ?...), elle m'a aussi massé les pieds : un massage vigoureux à la mongole. Si j'avais eu plus de force, j'aurais peut-être crié: - Saute plutôt dans mon estomac, c'est là que ça brûle ! Au milieu du Gobi, j'avais à la fois le feu au ventre et les pieds gelés.

    À côté de Nara, une jeune femme, traductrice en formation, était elle aussi venue apporter son aide. Je les entendais discuter les deux en mongol: une langue râpeuse et rêche, qui joue beaucoup sur le souffle, qui imite à sa manière les bourrasques du désert. Pour m'encourager, Nara me disait: - Pense à autre chose, pense aux chameaux que nous verrons demain, pense au désert. C'est plus ou moins à ce moment-là que je suis partie, mais partie où ?

    J'avais l'impression d'avoir glissé dans un sommeil profond qui n'était pas vraiment un sommeil. Je pouvais distinguer des dunes dans le lointain, mais comme environnées d'une espèce de brume. Je pouvais apercevoir un soleil à l'horizon, mais de manière très indistincte et très floue. Autour de moi, tout était chaleur et lumière. Non pas cette chaleur sèche et aride du désert, mais une chaleur faite de Douceur et de Tendresse. Les majuscules sont importantes. Si je pouvais mettre d'autres mots sur cette lumière, ce serait: Amour, Confiance, Sécurité, Sérénité, Infini, Absolu tous des mots avec des grandes lettres.

    Et Dieu ?... Au moment où j'écris cette histoire, en 2020, j'allierais volontiers cette Lumière à ce que je crois savoir de Dieu. Au moment où je l'ai vécu, en 2012, j'avais encore une conception de Dieu trop humaine pour allier les deux univers.

    De tous mes souvenirs de Mongolie, beaucoup se sont effacés. Cependant, l'évocation de cette Lumière garde toujours la même intensité. Il y avait, dans cette Lumière, quelque chose qui a rencontré ma fragilité: un amour profond qui vous embrasse tout entier. Il y avait aussi quelque chose, un tout petit rien, une toute petite miette d'immensité ou d'éternité.

    Toute entourée de cette Douceur, je me suis alors sentie "aspirée" dans mon corps. "Aspirer": un verbe qui me paraît étrange, car il ne me semblait pas avoir été "expirée" ou "expulsée" de mon corps auparavant. Cependant, "aspirer" est le seul verbe qui me vient maintenant. Faisons fi de la logique ! J'ai donc retrouvé les sensations de mon corps: le froid, le ventre qui brûlote, mais toute sensation de peur était partie. Pour une raison X, j'étais remplie de cette certitude absolue que je ne risquais plus rien et que tout était fini.

    Dans la yourte, Nara et la jeune traductrice étaient sorties, probablement en quête d'un sommeil bien mérité. Il n'y avait plus personne autour de mon lit. En revanche, mes deux bras serraient très fort le petit chameau en peluche. À mon retour en Suisse, je lui donnais finalement le nom de Nara: le nom de la guide, un terme féminin de la langue mongole qui signifie "soleil". Dans mon esprit, il s'agit d'un Soleil avec un grand S: une trace de cette Lumière avec un grand L que je n'oublierai jamais.

Quelques images du voyage en Mongolie

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