"Maintenant que je suis diabétique, je cherche des gens biscornus qui ont réussi dans la vie pour me rassurer."
Cette citation est placée dans la bouche de Myriam, personnage principal du roman pour enfants Privée de bonbecs (de Susie Morgenstern et Mayah Gauthier), l'un des rares personnages de fiction qui soit diabétique. Tout comme Myriam, je suis diabétique et je constate que, moi aussi, je suis à l'affût des gens biscornus. Vous en trouverez ci-dessous une petite réserve.
Betthoven
Le compositeur et sa surdité: un parcours qui me touche beaucoup, un personnage qui refuse de se résigner, de se laisser abattre. "Je veux saisir le destin à la gueule; il ne réussira pas à me courber tout à fait..." écrit Beethoven en 1801, alors même qu'il ressent les premiers symptômes de la surdité. Le premier mouvement de sa Ve symphonie, c'est le destin qui "frappe à la porte", un peu comme le diabète, ou comme n'importe quel autre handicap, frappe à la porte d'une vie.
Le destin et le compositeur : deux titans qui combattent l'un contre l'autre, deux lions qui s'empoignent et roulent à terre. Mais lorsque l'être humain échoue dans ses combats, lorsqu'il est forcé d'accepter l'inévitable, alors la musique de Beethoven prend une intonation plus douce. Un souffle qui vient rejoindre le vivant dans tout ce qu'il y de plus vulnérable. Lorsque j'écoute les compositions les plus tendres de Beethoven (souvent les deuxièmes mouvements de sonates et symphonies), je perçois souvent un amour, un soin qui ne vient pas de moi. Dieu, es-tu là, quelque-part dans la musique ?
Peer Gynt
Un personnage de Henrik Ibsen, auteur norvégien, mis en musique par Edvard Grieg, compostieur norvégien. Peer Gynt en quelques mots : un ivrogne, un bon à rien, un paresseux, un prétentieux, un menteur, un profiteur, peut-être simplement un homme aussi. Ayant tenté de séduire la princesse des trolls, Peer Gynt se retrouve à la la cour du roi, contraint d'attacher une queue à son derrière, d'adhérer à la devise des trolls – "Troll, sois toi-même ... et personne d'autre !", ainsi que de se faire crever les yeux.
Peer Gynt fuit, traversant océans et déserts. Dans toutes ses péripéties, il n'en gardera pas moins cette devise qui l'a profondément marquée : "Troll, sois toi-même... et personne d'autre !" Mais dans le fond, qu'est-ce qu'être soi-même ? Est-ce que je suis diabétique ? Est-ce que je suis une personne qui porte un handicap ? Est-ce que je porte une queue de troll que je pourrais simplement enlevé ?
C'est à la dernière minute de sa vie que Peer Gynt sera délié de sa quête. Il trouvera sa paix dans la personne de Solveig, une jeune femme qui, au début de l'histoire, avait promis à Peer d'attendre son retour. À la fin de l'histoire, Solveig est vieille, aveugle, mais elle l'attendra toujours. Quand Peer lui demande : "Où était mon moi, l'intégral, le vrai ?" Elle lui répond: "Dans ma foi, dans mon espérance, et dans mon amour."
Jean Valjean
Tout droit sorti des Misérables de Victor Hugo, Jean Valjean est un ancien forçat, un homme d'une force extraordinaire, capable de soulever à lui seul une charrette que seul un cric (ou une vingtaine d'hommes) pourrait déplacer. À peine sorti du bagne, Jean Valjean est hébergé pour une nuit par Monseigneur Bienvenu, l'évêque de Digne : une rencontre qui le marquera beaucoup et le poussera à se tourner vers Dieu.
Père adoptif de Cosette, dont le nom signifie étymologiquement "petite chose", Jean Valjean ne porte qu'un seul handicap: son identité d'ancien prisonnier. Malgré tous les actes de générosité accomplis, son crime demeure aux yeux de la société. Jean Valjean vit dans la peur constante d'être repris et réincarcéré.
Être diabétique, c'est un peu pareil. De l'extérieur, je veux paraître forte et résistante. De l'intérieur, je n'en reste pas moins diabétique. Je suis sans cesse en train de calculer, comment ne pas tomber dans mes propres prisons : les hyper et les hypoglycémies. Au quotidien, je nourris l'envie d'être forte et la peur d'être faible. Être diabétique, c'est aussi tenir une petite Cosette par la main: une "petite chose", la partie fragile de moi-même.
Oscar et la dame rose
Oscar et la dame rose, célèbre livre d'Eric-Emmanuel Schmitt. Hospitalisé pour un cancer, le petit Oscar apprend, à l'âge de 10 ans, que ses jours lui sont comptés.
D'accord ! Je ne suis pas morte de mon diabète ! Le diabète n'est plus mortel aujourd'hui pour qui a les moyens de se soigner. Cependant, je partage avec Oscar le vécu de l'hôpital: les jeux partagés entre enfants, les surnoms donnés aux infirmières de service, toutes ces nuits habitées par ces "fantômes [qui] nous réveillent, on ne sait pas pourquoi. On a mal parce qu'ils pincent. On a peur parce qu'on en les voit pas." Je partage également avec Oscar cette nécessité de vivre à fond le jour présent, de savourer chaque jour comme si c'était le premier. Je partage aussi avec le petit garçon cette nécessité de faire de Dieu un compagnon dans chaque jour de mon handicap.
"Maintenant que je suis diabétique, je cherche des gens biscornus qui ont réussi dans la vie pour me rassurer."
Dans Privée de bonbecs, les choix de Myriam se portent sur Frida Kahlo, peintre mexicaine, à la colonne vertébrale brisée, et sur Jacqueline Auriol, une aviatrice qui, après de nombreuses fractures, continue de voler, jusqu'à passer le mur du son.
De même que Myriam, je partage cette recherche de "gens biscornus". Cependant, au contraire de Myriam, mes choix ne vont pas forcément vers des gens qui ont "réussi". Au contraire, Peer Gynt a tout raté, du début à la fin de sa vie. Jean Valjean meurt dans l'anonymat, désirant que son nom soit définitivement oublié. S'il y a quelque chose de beau, dans la vie de ces personnages blessés, c'est qu'ils ont tous été confrontés à leur propre humanité. Du fin fond de leurs combats, ils ont perçu quelque chose de l'amour de Dieu.
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- Frères ! Au-dessus de la voûte étoilée
- Doit habiter un père bien-aimé.
- Vous vous effondrez, millions ?
- Monde, as-tu pressenti le Créateur ?
- Cherche-le par-delà le firmament !
- C'est au-dessus des étoiles qu'il doit habiter."
- Beethoven, Ode à la Joie
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"Peer Gynt (à deux doigts de mourir, complètement paniqué): Proclame bien fort à quel point j'ai péché ! Solveig : Tu n'as pas péché, mon garçon, toi, l'unique ! [...] Tu as fait de ma vie un chant ravissant, béni sois-tu d'être venu un jour ! Bénie, bénie notre rencontre de ce matin de Pentecôte ! Peer Gynt : Donc, je suis perdu ! Solveig : Il y en a un qui décide. " Henrik Ibsen, Peer Gynt
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"Jean Valjean s'était mis à lui enseigner à lire. [... ] Il sentait là une préméditation d'en haut, une volonté de quelqu'un qui n'est pas l'homme, et il se perdait dans la rêverie. Les bonnes pensées ont leurs abîmes comme les mauvaises. Apprendre à lire à Cosette, et la laisser jouer, c'était à peu près toute la vie de Jean Valjean. Et puis il lui parlait de sa mère et il la faisait prier." Victor Hugo, Les Misérables
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"Et là, [Dieu], j'ai deviné que tu venais. C'était le matin. J'étais seul sur la Terre. Il était tellement tôt que les oiseaux dormaient encore, que même l'infirmière de nuit, Madame Ducru, avait dû piquer un roupillon, et toi tu essayais de fabriquer l'aube. Tu avais du mal, mais tu insistais. Le ciel palissait. Tu gonflais l'air de blanc, de gris, de bleu, tu repoussais la nuit, tu ravivais le monde. Tu n'arrêtais pas. C'est là que j'ai compris la différence entre toi et nous : tu es le mec infatigable ! Celui qui ne se lasse pas. [...] J'ai compris que tu étais là et que tu me disais ton secret : regarde chaque jour le monde comme si c'était la première fois." Eric-Emmanuel Schmitt, Oscar et la dame rose